Focus Marchés – De la mondialisation à la bipolarité

Par Michael Sfez, rédigé le 27 octobre 2020

Les marchés financiers ont connu une remarquable reprise avec le soutien des banques centrales, les déconfinements progressifs et le retour de la confiance des investisseurs. L’économie a connu un rebond rapide qui pouvait être anticipé après le confinement généralisé, mais elle progresse désormais plus lentement avec une forte disparité entre les secteurs d’activité. Les gains « faciles » liés au redémarrage sont certainement derrière nous. Nous percevons que la pandémie a comme conséquence une accélération des écarts de richesse, la domination de la technologie et la fin d’une mondialisation absolue avec à nouveau l’apparition d’un monde bipolaire poussé par de nouveaux élans protectionnistes.

Des progrès considérables depuis mars…

Sur le 3ème trimestre, le monde s’est trouvé dans une posture très différente de celle connue au second trimestre. L’économie a connu un rebond substantiel, le coronavirus ne s’est pas répandu aussi vite. Même si les cas quotidiens progressaient, il n’y avait pas autant de tests au second trimestre comme l’atteste le Graphique 1 qui montrent la forte corrélation entre le nombre de contaminés et le nombre de tests. Le taux de contagion qui était au-dessus de 1 pour 3 avait chuté aux alentours de 1 pour 1 au niveau mondial et la médecine progressait dans la mise en place d’un vaccin.

… mais des nouveaux risques émergent

Cette progression de l’économie ne se fait pas toutefois sans turbulence. Une seconde vague d’infections est apparue à la fois aux Etats-Unis, puis désormais en Europe. Avec des températures plus fraîches et la reprise des écoles, le virus se transmet désormais à nouveau rapidement. La non-extension des programmes de soutien publics notamment aux Etats-Unis pourrait entraîner une augmentation des défaillances.

Il reste certain que tout un pan de l’économie restera à l’écart de cette reprise tant qu’un vaccin ne sera pas largement distribué. Ce qui prendra certainement un certain temps au-delà de la mise sur le marché et ne se fera pas sans remous car nous nous attendons à ce que la vaccination qui pourrait être rendue obligatoire pour accéder notamment à certains services comme les transports ne sera pas facilement acceptée par une partie importante de la population au vu de la défiance actuelle vis-à-vis des autorités.

Les élections américaines enlèvent un peu la vedette au COVID

Nous sommes à quelques jours des élections américaines et celles-ci sont désormais devenues un élément d’inquiétudes pour les investisseurs. En effet, tout d’abord, en raison de l’environnement sanitaire actuel qui devrait favoriser le vote par voie électronique, les marchés anticipent une possible contestation du vaincu avec notamment le Président actuel qui a clairement alerté sur des dysfonctionnements, des pratiques abusives du camp adverse et son manque de confiance sur l’équipement électronique. Par ailleurs, les sondages donnent une avance à Biden qui tire profit de la mauvaise gestion de la crise sanitaire par le gouvernement Trump. Biden est vu comme défavorable aux marchés à minima à court terme en raison de son programme qui :

  • Augmenterait les taxes sur les sociétés récupérant la moitié de la réduction mise en place par Trump
  • Renforcerait la règlementation avec des contraintes notamment sur le secteur énergétique
  • Allouerait plus de moyens pour dompter le COVID.

Toutefois, des mesures de croissance sont aussi prévues comme :

  • un stimulus fiscal plus important pour soutenir les entreprises et les ménages en difficulté,
  • Moins de protectionnisme (à l’exception de la Chine où Biden pourrait certainement avoir une posture similaire à celle du président actuel)
  • L’allègement des mesures anti-immigration.

Notre sentiment est que les cartes ne sont pas jouées et bien que Biden soit perçu négativement par le marché, il n’est pas certain qu’une victoire de Trump soit un réel catalyseur positif outre-mesure compte tenu du statut quo de sa politique.

Le COVID : un accélérateur de tendances

Cette crise du COVID aura eu pour conséquence une accélération de tendances déjà visibles auparavant :

  • L’augmentation de la puissance humaine par la technologie

–          Le déclin de la mondialisation avec la montée du populisme et du protectionnisme

–          La conscience des problèmes environnementaux et de la fragilité de la vie humaine

De la globalisation à la bipolarité
Nous avons grandi dans un monde totalement globalisé. Depuis plus de sept décennies, l’économie mondiale est passé d’une libéralisation des échanges et des flux transfrontaliers humains et de capitaux.

Les développements récents avec l’augmentation du populisme et du nationalisme en raison d’inégalités croissantes économiques ont alimenté le protectionnisme. Ainsi les tarifs douaniers ont fait leur retour, poussés notamment par un Président Américain qui a déclenché une guerre commerciale notamment avec la Chine conformément à son programme « America First » (Graphique 2).

Au-delà des tarifs douaniers, nous avons aussi vu arriver la mise en place de barrières non douanières afin de dominer les technologies de nouvelle génération comme l’IA (Intelligence Artificielle) et la 5G. Ces développements ont eu un effet tangible sur le volume des échanges globaux, des flux transfrontaliers et des chaînes d’approvisionnement. Tout cela se combine avec des volontés de maîtriser les migrations et immigrations de populations un peu partout dans le monde.

Quel est l’avenir de la mondialisation sur le long terme ? Il est fort probable que le populisme et le nationalisme vont demeurer pour un bout de temps et la crise du COVID n’aura fait qu’accentuer ces phénomènes.

De plus, il est fort probable que nous observions un phénomène de régionalisation. Des économies comme la Chine et l’Inde deviennent de moins en moins dépendantes et leurs entreprises locales n’interviennent plus en back office et en bout de chaîne mais se développent au-delà. Elles s’écartent de plus en plus de cette image de l’Usine de l’Occident. Il suffit de voir comment la Chine a récupéré la totalité de ses moyens et des niveaux de croissance proches de l’avant COVID.

Les véritables différences culturelles, sociales et juridiques alimenteront la régionalisation notamment dans les espaces de technologies émergentes, sur des problématiques comme la protection des données et les implications éthiques de l’IA. Ainsi ces phénomènes alimenteront de nouveaux cercles d’influence plus régionaux. Il est attendu que les multinationales opèrent de manière plus fragmentée.

La technologie sera certainement également un moteur de cette régionalisation avec des chaînes de production plus courtes grâce notamment à des développements comme l’impression 3D.

Enfin, le challenge climatique amènera certainement sa complexité dans tout cela car une coopération mondiale sans précédent sera nécessaire. Malheureusement nous n’y sommes pas.

Des tendances qui favorisent selon nous certains placements

Au vu de ces tendances de long terme, notre rôle est d’évaluer les actifs qui permettront de profiter de ces changements.

Ces tendances sont selon nous favorables aux petites et moyennes capitalisations cotées, au private equity destiné à financer des entreprises qui sont souvent leaders sur leurs marchés locaux avec une forte expertise et qui abordent une nouvelle étape d’expansion sur d’autres marchés limitrophes typiquement. Ce sont certainement des actifs qui prendront une place grandissante dans nos allocations.