Focus Marchés – A perdre la raison

Rédigé par Michael Sfez - 19/04/2021

+87% pour le S&P 500 depuis son plus bas il y a un an ; le rebond post récession le plus fort depuis 1990 en une seule année et qui dépasse celui le précédent record de 2009 qui a duré 11 ans ; des hausses pharaoniques de +500% sur des crypto-devises en trois jours, des pertes « à la Kerviel » pour l’un des fleurons de la banque suisse à la suite du virus de la « finance folle » dopé à l’effet de levier qui ressurgit, … N’est-il pas urgent de redevenir raisonnable ?

Un rallye éclair

En un rien de temps, le krach des marchés actions a non seulement été balayé mais désormais les indices dépassent des niveaux records ou certains comme le CAC 40 retrouvent des niveaux des années 2000 (attention contrairement à la plupart des indices le CAC 40 n’intègre pas les dividendes, ce niveau de 2000 ayant été dépassé depuis longtemps avec les dividendes réinvestis). Nous sommes donc passés de la capitulation générale à l’euphorie en un temps record.

Il était important d’en profiter l’année dernière car dès avril 2020, une opportunité historique sur les marchés actions se présentait pour les investisseurs. Les gestions agiles ont pu montrer ou pas leurs capacités à générer des performances ajustées au risque élevées.

Depuis le début de l’année, la reprise économique liée à la réussite de la vaccination dans certaines zones du monde et en l’occurrence au sein de la première puissance mondiale s’affiche sans complexe.

Les politiques monétaires toujours accommodantes et les plans d’aides budgétaires massifs des états ont alimenté une vague de liquidités qui entraîne une inflation du prix des actifs de croissance et notamment les cours boursiers.

Cette hausse des marchés actions s’est fondamentalement expliqué aussi par une accélération du numérique et de ses diverses applications. Les secteurs technologiques, de la santé, de l’éducation… ont non seulement fait preuve de résilience mais ont clairement bénéficié des effets Covid dont on estime que beaucoup seront durables.

La progression du S&P 500 de +87% serait donc justifiée par une croissance des résultats de ces entreprises. Les attentes sont d’ailleurs très élevées cette année. Or on peut s’attendre à ce qu’il n’y ait pas que des vainqueurs et que toutes les sociétés ne délivreront pas les taux de croissance exponentiels attendus tant la concurrence est importante.

Ainsi, l’économie repart fort très fort même avec un effet de base (point initial) très bas puisque la planète économique s’est arrêtée il y a un an. En témoigne les indicateurs macroéconomiques telles que les enquêtes de directeurs d’achats (ISM) qui indiquent des niveaux significativement au-dessus de 50 (seuil d’expansion).

Entre temps, le plan Biden de $1 900 milliards a ajouté du carburant et alimenté les spéculations sur une explosion inflationniste qui pourrait pousser la Fed à rehausser ses taux et alléger son programme d’achats d’actifs plus tôt que prévu. Afin de calmer les craintes des investisseurs, Jerome Powell n’a cessé de répéter que l’inflation constatée actuellement est liée à une forte reprise et en soi temporaire.

Inflation : A tort ou a raison ?

Il est toujours risqué d’aller contre l’avis des Banques Centrales mais nous assistons aujourd’hui à une inflation des biens (et non des services ce qui explique que les indices core ne font pas ressortir l’inflation telle que nous la percevons) qui nous préoccupent.

Un grand nombre de matières premières ont vu leurs cours s’envoler en un an : +85% pour le maïs, +78% pour le cuivre,…

Nous pensons que la forte montée des prix des matières premières se reflètera dans les prix des biens consommés.

En effet, près de ¾ des sociétés industrielles sondées par l’enquête de la Fed de Philadelphie constatent une hausse des prix des matériaux de base qu’ils répercutent avec succès sur leurs biens finaux. L’indice des prix des producteurs diffusé par le Bureau des Statistiques de l’Emploi aux Etats-Unis montrent des chiffres de hausse records depuis plusieurs années. L’indice des biens industriels a progressé de 4% en mars, une hausse pas vue depuis août 1974.

Par ailleurs, il est rationnel qu’avec la déferlante consommatrice qui arrive avec des ménages qui ont pu accumuler en raison de moindres dépenses et des chèques publics pour certains ($2000 distribués entre 2020 et 2021 aux Etats-Unis), les industriels profitent de cette réouverture de l’économie pour répercuter des hausses de prix.

Enfin, les coûts de fret qui ont triplé en un an, et les difficultés d’approvisionnement comme les semi-conducteurs avec le boom des véhicules électriques et le caoutchouc chinois sont des facteurs inflationnistes. L’offre ne pouvant répondre à la demande, la variable d’ajustement reste le prix.

Le risque de hausse des taux

Nous rappelons qu’une inflation trop élevée et soutenue n’est pas bonne pour l’économie car si celle-ci devient trop élevée, elle a un impact sur le coût de la vie, le coût des affaires, les taux d’intérêt,… A ce titre, en raison de la hausse des prix perçue et des indicateurs économiques records, les anticipations de remontée de taux ont poussé les taux à 10 ans américains. Les taux ont dépassé les 1.70% alors qu’ils étaient aux alentours de 0.95% en début d’année. C’est presque x2.

« Comme en conduite, dans une forte pente, il est important de rétrograder pour ne pas rentrer en sous-régime. »

Compte tenu de l’endettement actuel privé et publique, il est clair que ce risque de hausse des taux est pris très au sérieux même si la Fed a annoncé qu’elle avait toutes les armes pour contrer une trop forte remontée des taux.

La finance folle ressurgit

Nous venons juste de vivre un nouveau Kerviel… En effet les pertes engendrées par Credit Suisse, un des fleurons de la banque suisse, sont à la hauteur de ce qu’a connu la Société Générale avec son trader. Ici c’est la défaillance du family office Archagos fondé par Bill Hwang, l’ancien gérant du hedge fund Tiger (qui avait d’ailleurs été sanctionné en 2012 par la SEC après avoir commis une fraude) qui a mis au tapis la banque suisse. En effet ce family office non régulé gérait plus de 30 milliards de dollars à travers des positions spéculatives à effet de levier notamment sur les actions technologiques chinoises et des groupes de médias américains. Celles-ci ayant corrigé avec la hausse des taux d’intérêt, le family office n’a pu faire face à ses appels de marge de ses intermédiaires financiers. Credit Suisse n’est d’ailleurs pas la seule touchée.

Cet évènement qui a ébranlé fin mars le Credit Suisse a été rapidement effacé par les investisseurs.

Mais cet évènement illustre l’appât du gain rapide qui fait tant de mal à la finance moderne. Il apparait que l’effet de levier notamment à travers les produits dérivés utilisés par les petits porteurs atteint à nouveau des niveaux élevés (la croissance de l’endettement pour l’achat d’actions aurait connu une hausse pas vue depuis… 2007).

Bien que les cryptodevises deviennent certainement un actif à considérer de manière minoritaire pour certains patrimoines, il apparait que les montagnes russes auxquelles nous assistons laissent perplexes. Un tweet disait que le chèque de $1200 attribué aux ménages américains se serait transformé en $158 724 si ces $1200 avaient été investis en dogecoin, l’une des crypto devises qui a fait beaucoup parlé d’elle la semaine dernière avec une flambée de 500% en 3 jours encore aidée par Elon Musk….

Les petits porteurs sont arrivés sur les marchés boursiers

Que cela soit en France ou aux Etats-Unis, les petits porteurs se sont massivement rués vers les actions attirés par cet appât du gain rapide. Aux Etats-Unis, ils représenteraient désormais 20% des volumes.

Or l’histoire nous montre que, parce que n’ayant pas de discipline, les petits porteurs peuvent aller de l’euphorie à la capitulation très rapidement.

C’est à ce titre que nous estimons que le marché actions est aujourd’hui fragile avec cet afflux d’argent frais, ces valorisations élevées et des risques qui peuvent peser sur une croissance qui est attendue comme historique.

Comme en conduite, dans une forte pente, il est important de rétrograder pour ne pas rentrer en sous-régime. Pour nous, il est temps pour les marchés de faire une pause et de revenir à plus de raison.

Performances de nos portefeuilles assurance vie / capitalisation au 29.04.21

Moyenne des portefeuilles Kermony Chaplin (sécuritaire) : 0.8% (tous frais compris)

Moyenne des portefeuilles Kermony Leone (prudent) : 2.3% (tous frais compris) vs.1.6% pour la moyenne des fonds (catégorie Quantalys – Allocation Prudent Monde, hors frais assurance vie)

Moyenne des portefeuilles Kermony Spielberg (équilibre) : 3.7% (tous frais compris) vs. 3.9% pour la moyenne des fonds (catégorie Quantalys – Allocation Equilibre Monde, hors frais assurance vie)

Moyenne des Portefeuilles Kermony Eastwood (Dynamique) : 3.6% (tous frais compris) vs. 6.5% pour la moyenne des fonds (catégorie Quantalys – Allocation Offensive Monde, hors frais assurance vie)

Moyenne des Portefeuilles Kermony Tarantino (Actions Monde) : 3.0% (tous frais compris) vs 10.3% pour la moyenne des fonds concurrents (catégorie Quantalys – Actions Monde)

Moyenne des Portefeuilles Kermony PEA : 10.6% (tous frais compris) vs 10.8% pour la moyenne des fonds concurrents (catégorie Quantalys – Actions Zone Euro)