Infrastructures : une classe d’actifs stratégique au croisement des grandes transitions économiques
juin 2025
Entretien avec Michael Sfez – Associé, KERMONY Office
Q. Pourquoi les infrastructures sont-elles devenues si stratégiques pour les investisseurs ?
Michael Sfez : Parce qu’elles cochent des cases essentielles : elles fournissent des services fondamentaux à l’économie (énergie, transports, télécoms), leur demande est structurellement croissante, elles génèrent des revenus prévisibles via des contrats long terme souvent régulés, et elles reposent sur des actifs physiques tangibles.
Elles offrent aussi des barrières à l’entrée élevées, et une opportunité de création de valeur par l’optimisation opérationnelle ou un repositionnement stratégique. Bref, une classe d’actifs utile, lisible, et ancrée dans le réel.
Q. Quels sont les besoins de financement aujourd’hui dans ce secteur ?
MS : Ils sont colossaux. On estime à 2 700 milliards de dollars le besoin de capitaux propres pour moderniser les infrastructures aux États-Unis et en Europe.
Les causes ? Un patrimoine vieillissant, une transition technologique et environnementale accélérée, et des budgets publics contraints. Les fonds privés ont donc un rôle clé à jouer pour combler ce déficit.
Q. Quelles sont les mégatendances qui renforcent l’attrait de ces investissements ?
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Plusieurs tendances lourdes créent un effet d’accélération :
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L’intelligence artificielle et les objets connectés augmentent les besoins en data centers, réseaux à haut débit, et énergie ;
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La transition énergétique redirige les flux vers les renouvelables et le stockage ;
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L’urbanisation, le vieillissement démographique ou les chocs géopolitiques poussent à construire des infrastructures plus résilientes et locales.
Et l’IA ne se contente pas de consommer de l’infrastructure : elle peut aussi en améliorer la performance.
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Q. Des exemples concrets d’opportunités ?
Beaucoup !
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La fibre optique : forte croissance de l’usage (+20 % par an), mais des zones encore mal desservies. Aux US, seulement 40 % de la population a accès à la fibre.
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Les énergies renouvelables : elles concentrent 25 % des investissements énergétiques, dopées par les incitations fiscales.
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Le transport collectif : ferries, bus scolaires, électrification… 2 000 milliards de dollars d’investissements annuels nécessaires jusqu’en 2040.
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Les résidences seniors : le vieillissement pousse la demande pour des logements adaptés, souvent opérés par des acteurs privés.
Q. Comment accède-t-on à ce type d’investissement ?
Ce sont des projets très capitalistiques, donc historiquement réservés aux grands institutionnels. Les fonds fermés spécialisés sont devenus la porte d’entrée naturelle.
Ils permettent de mutualiser les risques, d’avoir une expertise technique (par exemple sur la connectivité d’un data center, la puissance énergétique disponible, les normes environnementales), et de disposer d’une gouvernance professionnelle.
Q. Quels sont les principaux défis à maîtriser ?
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L’illiquidité : c’est une contrainte mais aussi une source de prime.
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La réglementation, souvent complexe et mouvante selon les pays.
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Les risques politiques : par exemple, la remise en question des subventions fédérales sous certaines administrations.
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Et enfin, la technicité de l’analyse : un actif comme un data center ou une infrastructure de transport nécessite une vraie capacité d’évaluation.
Q. Quelle est votre approche en tant qu’investisseur ?
Chez Kermony, nous favorisons une stratégie Core / Core Plus, axée sur des actifs stables et bien régulés dans des pays développés.
Nous intégrons aussi une part de value add (5–12 %) : des projets à améliorer ou repositionner, dans des secteurs en croissance. C’est une stratégie plus dynamique, qui s’apparente à du private equity sectoriel, mais avec un sous-jacent tangible.
Q : L’infrastructure peut-elle répondre à des enjeux durables ?
C’est même une exigence croissante. Les infrastructures sociales (hôpitaux, écoles, bâtiments publics) ou environnementales (solaire, éolien, stockage, bâtiments verts) sont au cœur de nos convictions.
La guerre en Ukraine a aussi rappelé l’importance de réseaux énergétiques robustes et autonomes.
L’IRA américain (Inflation Reduction Act) a déclenché une vague d’investissements avec plus de 1 800 milliards $ injectés en 2023. C’est colossal.
Q : Et sur le plan social et sociétal ?
Nos clients sont de plus en plus attentifs à l’impact local de leurs investissements. Qu’il s’agisse d’égalité sociale, d’accès à la mobilité ou à la santé, l’infrastructure permet d’avoir un effet direct, mesurable et durable.
Et même si certains titres anti-ESG font la une, les investisseurs de long terme — notamment les fonds de pension — voient clairement la valeur d’intégrer ces dimensions.
Q : En un mot, pourquoi investir dans les infrastructures aujourd’hui ?
MS : Parce que c’est une classe d’actifs ancrée dans le réel, défensive par nature, alignée avec les grandes transitions de notre époque, et capable de combiner rendement, stabilité et utilité.
Une rareté précieuse dans le monde d’aujourd’hui.
