Le double sens de la fête
novembre 2025
2025 a des allures de fête : la croissance américaine reste vigoureuse (4% projetés au T3 selon la Fed d’Atlanta), les marchés actions surfent sur l’IA (+15% environ pour le S&P 500 en USD), l’or flambe (+53% depuis le début de l’année malgré une correction récente), et même le déficit fédéral américain s’est réduit de 41 milliards de dollars par rapport à 2024 grâce aux droits de douane — dont la légalité est actuellement examinée par la Cour suprême. Mais à y regarder de plus près, c’est une fête à deux salles, deux ambiances.
Une économie américaine en K : deux réalités, un fossé qui s’élargit
La victoire inattendue du nouveau maire de New York, Zohran Mamdani, en est le symbole parfait : celle d’une génération qui ne croit plus à la promesse capitaliste. C’est le reflet d’une économie en K, où les perspectives de prospérité grimpent pour certains pendant qu’elles s’effritent pour d’autres.
La branche haute du K capte la hausse des actifs ; la branche basse se heurte à des conditions de crédit prohibitives, au coût du logement et à une érosion persistante du pouvoir d’achat. Ce fossé grandit aussi dans l’économie réelle.
Chipotle, la fameuse chaîne de restaurants mexicains aux Etats-Unis, en fournit un exemple frappant : le cœur de cible des 25–35 ans déserte les restaurants.
Comme l’explique son CEO Scott Boatwright, cette clientèle est prise en étau entre chômage, reprise des remboursements de prêts étudiants et stagnation des salaires. Ils ne vont pas chez la concurrence : ils mangent chez eux.
Les saisies automobiles révèlent une réalité encore plus brutale : 1,73 million de véhicules repris en 2024 (+16 % en un an ; +43 % en deux ans). Jusqu’à 3 millions pourraient être saisis d’ici fin 2025, un niveau inédit depuis 2009.
Le chômage des jeunes (16–24 ans) grimpe à 10,5 %, soit trois fois celui des milléniaux et de la génération X.
L’illusion de la résistance du consommateur aux Etats-Unis
La consommation reste l’élément clé et le plus stable du PIB américain. L’épargne demeure élevée, même si elle n’a plus rien à voir avec l’excès accumulé pendant la pandémie. Les ratios de service de la dette restent bas, la hausse des taux hypothécaires n’a pas provoqué de stress financier généralisé.
Mais ces chiffres masquent la réalité de l’économie en K : les ménages aisés s’en sortent très bien, tandis que les revenus faibles et intermédiaires, eux, souffrent d’un marché du travail qui faiblit, de pressions tarifaires et de la fermeture temporaire de l’administration fédérale qui a privé quatre millions d’Américains de salaire.
Deux moteurs ont porté la consommation :
- L’effet richesse boursier, dont la majorité des ménages ne bénéficie pas.
- Les tarifs douaniers et la fin des subventions automobiles, qui ont dopé les achats immédiats mais au prix d’une contraction future de la demande.
Une “jobless boom” : profits record, emplois en recul
L’économie américaine pourrait connaître simultanément expansion et hausse du chômage. L’automatisation et l’IA permettent des profits record tout en réduisant les besoins d’embauche.
Si cette dynamique se poursuit, la branche haute du K continuera de prospérer… et la branche basse de décrocher davantage.
La Chine : une armature industrielle sous tension
La Chine illustre un paradoxe similaire : elle a amorti l’explosion de la bulle immobilière en activant massivement sa machine industrielle et ses exportations. Mais les stocks s’accumulent, la demande interne faiblit et les barrières commerciales se multiplient : la pression déflationniste s’intensifie.
La crise immobilière chinoise rappelle celles du Japon des années 1990 et des États-Unis en 2008. Des promoteurs « zombies » doivent encore être restructurés et une quantité importante de logements reste vacante. Pourtant, la croissance officielle reste entre 4,5 % et 5 % grâce au soutien massif de l’État : surcapacité manufacturière, investissements dans les infrastructures, accélération des exportations… et stabilisation de l’immobilier sans reflation des prix.
En 2024, cette stratégie a porté ses fruits : l’acier, le béton et les produits d’énergie verte ont été réorientés vers les marchés émergents et européens.
Mais ce modèle atteint ses limites : les pays émergents, l’Europe et les États-Unis renforcent leurs barrières douanières et les tensions commerciales rendent la trajectoire chinoise plus volatile.
L’analyse du PIB révèle :
- un effondrement de la demande intérieure privée,
- une contraction de l’investissement manufacturier et infrastructurel,
- une accumulation de stocks inquiétante pour la stabilité future.
La Chine devra soit stimuler plus franchement sa demande interne, soit accepter une croissance plus basse. Tant que ce rééquilibrage n’aura pas lieu, ses pressions déflationnistes continueront de se diffuser dans le monde, surtout auprès des pays les plus ouverts au commerce.
Big Tech : le basculement vers un modèle “asset-heavy”
Dans le même temps, l’IA pousse les Big Tech à abandonner leur modèle “asset-light” pour un modèle “asset-heavy”. Les capex explosent, l’endettement augmente et l’infrastructure mondiale de calcul absorbe des montants historiques.
Or, l’histoire montre que ces phases de surinvestissement se terminent rarement sans turbulences : excès de capacités, concurrence exacerbée, rendements inférieurs.
Nous considérons désormais le risque de surcapex comme central, non marginal, et réduisons notre exposition aux mégas-capitalisations engagées dans cette course.
La France avance … mais sur un fil
Pendant que les États-Unis questionnent la soutenabilité de leur prospérité, la France semble retrouver une forme de stabilité politique, fragile mais réelle. Le CAC 40 gagne 10 % depuis janvier, même s’il accuse un léger retard sur les marchés mondiaux, davantage pour des raisons sectorielles que structurelles.
Mais cette façade cache une économie en K inversée : la fiscalité comprime le haut au nom de la redistribution, sans jamais reconstruire la base. Le nouvel « Impôt sur la Fortune Improductive » illustre cette direction. Taxer le fonds en euros nous semble dangereux : un risque de ruée annuelle sur les retraits pourrait déclencher l’application du dispositif Sapin II et geler les avoirs.
Bien que le Sénat puisse bloquer cette mesure, nous préférons agir en amont.
Dans notre arbitrage de novembre, nous réduisons drastiquement l’exposition aux fonds en euros au profit de stratégies défensives (obligataires, performance absolue, flexibles…).
Conclusion : rester sélectif, prudent, opportuniste
Les marchés prolongent leur rallye mais les fractures s’accentuent. Notre positionnement demeure :
- défensif,
- peu exposé aux mégacaps IA,
- orienté vers des stratégies dotées d’un coussin de protection,
- prêt à saisir les opportunités offertes par une normalisation des valorisations.
Comme le rappelle Warren Buffett dans sa dernière lettre aux investisseurs :
la patience vaut mieux que le génie.
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Le Pacte Dutreil de demain ?