NFT et postérité – Terrain miné ? Episode 2

Un des enjeux en matière de NFT est, comme nous l’avions évoqué dans l’épisode 1 de « NFT et postérité », d’anticiper afin d’éviter une déperdition de ce patrimoine numérique d’une génération à l’autre. Mais une fois le problème de la valorisation résolu, encore faut-il éviter les pièges liés à la transmission de ces actifs encore singuliers.

Transmission – à la vie…

Juridiquement, tout actif peut faire l’objet d’une donation. Fiscalement, la donation entre dans le champ d’application des droits de mutation à titre gratuit.

La plupart des auteurs s’accordent sur l’applicabilité du droit commun en matière de transmission entre vifs. Aussi, la transmission pourrait s’opérer via un don manuel ou une donation par acte notarié (donation simple ou donation-partage) – bien que certains professionnels alertent sur l’importance de la valeur transmise, laquelle ferait obstacle à la transmission opérée par un don manuel et imposerait le recours à l’acte notarié.

Plusieurs auteurs ont déjà mis en avant la possibilité de recourir à une donation avant cession de crypto-monnaies. Cependant ils soulignent également les difficultés qui pourraient être rencontrées en cas de donation réalisée au profit d’enfants faisant partie du foyer fiscal du donateur du fait de la spécificité des plus-values sur cryptomonnaie, lesquelles s’apprécient au niveau du foyer fiscal et non du cédant (ce qui atténue ce qui est appelé « l’effet de purge »). En effet, nous devons ici rappeler qu’une donation n’entraînera aucune imposition de la plus-value latente, laquelle se trouve alors purgée. Lorsqu’elle est réalisée avant une cession, la donation est donc particulièrement intéressante.

Si le droit commun est applicable, la propriété du wallet pourrait donc être démembrée (de la même façon que l’on peut démembrer un portefeuille de valeurs mobilières). On imagine facilement une donation de la nue-propriété qui profiterait aux enfants avec réserve d’usufruit au profit du conjoint survivant. En pareil cas, la convention de quasi-usufruit ou la constitution d’une société civile propriétaire du wallet à capital démembré seraient des pistes à étudier. Des héritiers pourraient également se trouver propriétaire d’un wallet dans le cadre d’une indivision. Ces derniers sujets nous amènent également à nous questionner sur la détention d’un wallet en indivision ou par une société holding patrimoniale.

Les écueils du don manuel – il est possible (et facile) de donner un NFT « de la main à la main » sans passer de façon impérative devant notaire, en ayant recours au don manuel. Ces donations, même si elles ne sont pas constatées dans un acte notarié et même si elles ne donnent pas lieu au paiement de droits de mutation, doivent être déclarées à l’Administration fiscale. Les droits de mutation sont calculés sur la valeur des tokens donnés au jour de la donation lorsque le don est déclaré spontanément par le donataire ou, lorsque le don est révélé suite à une action de l’Administration fiscale, sur la valeur des tokens, au jour de la révélation, si elle est supérieure (ce qui peut être lourd de conséquence en raison de la volatilité des tokens).

NB : lorsque la donation porte sur un bien immobilier, l’intervention du notaire est obligatoire. Quid lorsque l’actif sous-jacent du NFT cédé est un bien immobilier (réel ou virtuel) ? Cette question reste à ce stade en suspens.

Par ailleurs, le don manuel (comme la donation simple) n’opère pas de partage anticipé et définitif de succession des biens donnés entre les bénéficiaires. Le don consenti peut donc être remis en question au décès du donateur en cas d’atteinte à la réserve héréditaire d’un héritier par application du mécanisme du rapport. Le risque est grand, toujours en raison de la volatilité des tokens puisque le don manuel ne fige pas la valeur des biens donnés – aussi l’atteinte à la réserve peut ne pas être caractérisée au jour de la donation et le devenir postérieurement en cas de prise de valeur importante.

Les écueils de la donation-partage – inversement, la donation-partage des biens donnés entre les bénéficiaires opère un partage anticipé et définitif de succession. Elle exclut toute remise en question au décès du donateur, ce qui préserve l’entente familiale. Par ailleurs, elle fige la valeur des biens donnés au jour de la donation, ce qui garantit le respect de la réserve des héritiers. L’inconvénient de la donation-partage réside dans son formalisme puisqu’elle doit être obligatoirement passée par-devant notaire. Par ailleurs, en matière de crypto-actifs, le fait que la valeur soit figée peut aller à l’encontre des objectifs patrimoniaux poursuivis. En effet, au jour de la donation, on peut chercher à avantager un héritier (dans le respect de la réserve des autres héritiers) et donc le gratifier d’un lot plus important que celui consenti aux autres. Avec le temps, une dépréciation de la valeur de ce même lot est possible et est à envisager, ce qui peut aboutir à un déséquilibre au détriment de cet héritier qui devait justement être favorisé !

Dans la pratique, la donation d’un NFT s’opère par son transfert d’un wallet à un autre. Cette opération est simple lorsqu’elle est faite par le détenteur de son vivant, lequel dispose des codes d’accès à son wallet (qui peut être, on le rappelle, physique ou numérique).

Attention, le transfert de NFT d’un wallet à l’autre, bien que simple, entraîne des frais (dits « gas fees », qui sont dus pour toute opération réalisée) qui peuvent être importants.

 

… à la mort

Le décès du détenteur de NFT n’entraîne pas, à ce jour, le transfert automatique des NFT à une personne désignée ou aux héritiers. En revanche, il est possible d’assurer leur transmission en transmettant les codes d’identification requis pour accéder au wallet, par des dispositions testamentaires, devant notaire. L’idée est ici de détailler, au sein du testament qui sera établi par écrit et conservé dans le coffre-fort du notaire, la procédure de récupération du wallet numérique ou de transmettre le code d’accès au wallet physique qui devra être remis au bénéficiaire.

Les sujets de transmission d’actifs numériques remettent en avant les questions autour de la recevabilité d’un testament entièrement numérique, rédigé et signé en ligne – le principal obstacle restant à ce jour la complexité de vérification de la volonté de signer ou non le testament et de s’assurer de l’absence de pression subie par le signataire…

 

Le dernier point d’alerte que nous soulèverons est celui des droits de mutation qui devront être liquidés sur la valeur des NFT transmis seront acquittés en euros. Or, aucun dispositif ne permet de se prémunir d’une perte de valeur brutale postérieure à la donation. Aussi, des droits de mutation peuvent être liquidés sur la valeur des NFT au jour de la donation et être exigibles à une date à laquelle les NFT transmis ne valent plus rien… Les praticiens devront anticiper dans la mesure du possible cette perte de valeur en prêtant attention aux caractéristiques du token qui découleront de son code et pourront influer sur sa valeur – telles que sa durée de vie par exemple. En effet, la valeur d’un token qui serait estimée à 1 million d’euros un jour J mais dont la durée viendrait à expirer en J+2 serait certainement amoindrie.

Des confirmations sont attendues quant à l’applicabilité des dispositifs de transmission de droit commun. En tout état de cause, le droit positif connaîtra des évolutions et la prudence s’impose quant aux solutions qui seront mises en place dès à présent mais il nous semble que la pratique ne doit pas attendre pour se saisir de ces sujets.

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