Oh, what a feeling, when we’re dancing on the ceiling !*

*Paroles du tube de Lionel Richie « Dancing on the ceiling », 1986

Depuis 1960, le plafond de la dette a été augmenté près de 80 fois par les Etats-Unis. La « danse » habituelle des négociations est à nouveau sur le devant de la scène. Devons-nous alors nous en inquiéter ? Comme l’a dit Jerome Powell, lors de la conférence cette semaine, nous sauterions dans l’inconnu si un terrain d’entente entre démocrates et républicains n’était pas trouvé.

Le contexte

Alors que des banques régionales américaines tombent les unes après les autres (SVB, Signature Bank, First Republic ; PacWest et Western Alliance sous pression maintenant), Janet Yellen, la Secrétaire Générale du Trésor américain, a annoncé que l’Etat américain lui-même pourrait se trouver en défaut de paiement le 1er juin prochain.

Le plafond de la dette est le montant maximal, fixé par le Congrès, de la dette que les Etats-Unis peuvent accumuler. La dernière fois que ce plafond a été réhaussé était en décembre 2021 avec un montant relevé à $31 400 milliards. Ce montant a été atteint le 19 janvier dernier. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, les déficits annuels ont fortement augmenté ces dernières années suite aux vastes plans de soutiens budgétaires face au Covid.

Graphique 1 : Balance du budget américain en % du PIB

Depuis le 19 janvier 2023, le Département du Trésor a pris des mesures exceptionnelles pour éviter le défaut de la première puissance économique mondiale. Mais ces mesures « comptables » ne sont que temporaires et sont censées se terminer selon Janet Yellen le 1er juin prochain, mettant ainsi la pression sur le Congrès pour augmenter ou suspendre le plafond de dette avant un potentiel défaut qui pourrait s’avérer catastrophique non seulement pour l’économie américaine mais également pour l’économie mondiale et les marchés financiers.

Que faut-il pour débloquer la situation ?

Les Démocrates et les Républicains sont dans l’impasse depuis que la limite a été atteinte en janvier. Le président Joe Biden et les démocrates du Congrès ont insisté sur le fait qu’ils soutiendront uniquement un projet de loi sur le plafond de la dette « pur » qui ne comporte aucune condition. Les républicains, quant à eux, ont déclaré qu’ils ne soutiendraient qu’une augmentation du plafond de la dette associée à des coupes significatives dans les dépenses.

La Chambre des Représentants des Etats-Unis a adopté de justesse le 26 avril un projet de loi pour augmenter le plafond de la dette. Ce qui a permis de relancer les négociations. Le plafond de la dette selon ce projet de loi serait augmenté de 1 500 milliard de dollars jusqu’en mars 2024. En contrepartie, les dépenses fédérales de l’exercice 2024 devraient être au niveau de 2022 avec une augmentation annuelle à 1% pour la décennie qui vient. Le Bureau du budget du Congrès estime que le package entraînerait $4.8 milliards de réductions de dépenses au cours des 10 prochaines années, mais aucune précision sur les modalités de mise en œuvre de ces réductions n’ont été apportées.

Le projet de loi adopté par la Chambre, connu sous le nom de « Limit, Save, and Grow Act » inclut plusieurs dispositions supplémentaires comme la récupération des fonds inutilisés destinés à la lutte Covid ; la coupe de la quasi-totalité du financement supplémentaire prévu pour l’IRS qui avait été approuvé par le Congrès l’année dernière, l’abrogation de nombreuses dispositions sur les énergies renouvelables qui ont été adoptées dans le cadre de l’Inflation Reduction Act en 2022 ; le blocage du plan du président Biden de l’effacement de $10 000 de dette étudiante pour des millions d’emprunteurs ; la simplification du processus d’obtention de permis pour les projets énergétiques et l’augmentation des exigences en matière de travail pour les bénéficiaires de bons alimentaires et de Medicaid.

Toutes ces exigences rendent pour les Démocrates le projet de loi inacceptable. Le leader de la majorité au Sénat a affirmé que la loi était morte née peu après son vote à la Chambre. Le président Biden a également affirmé que l’augmentation du plafond n’était pas négociable. Les démocrates souhaitent en effet dissocier le débat sur le plafond des discussions relatives aux dépenses qui devront se faire selon eux au moment de la soumission du budget annuel prévu le 30 septembre. De leur côté, avec le vote de la Chambre, les Républicains estiment qu’ils ont fait leur travail et que les Démocrates au Sénat et le Président doivent s’asseoir à la table des négociations.

Comme dans beaucoup de pays (nous en avons l’illustration en France), à l’heure des réseaux sociaux, les tensions et les rancœurs sont malheureusement fortes entre adversaires politiques. Les deux parties devront trouver une voie d’entente mais ce n’est pas gagné. Les Démocrates au Sénat détiennent une majorité étroite (51-49) et ne pourront certainement pas faire passer une augmentation « pure et simple » de la dette.

La date couperet

Janet Yellen a annoncé que le Trésor Américain serait en défaut de paiement potentiellement le 1er juin. D’autres estimations sur la « date de défaut » sont données entre fin juin et début septembre.

Une option considérée serait une augmentation du plafond à court terme ou une suspension qui pousserait la date limite peut-être à fin septembre. Ce qui alignerait les négociations sur le plafond avec les discussions autour du budget annuel, donnant quelques mois supplémentaires au Congrès pour des négociations difficiles.

Pourquoi devons nous nous inquiéter de cet évènement si habituel aux Etats-Unis ?

Comme mentionné précédemment, ces négociations ont eu lieu maintes fois et ont toujours trouvé une issue heureuse. Alors pourquoi s’en inquiéter ? Il est clair que les marchés vont suivre de très près le débat sur le plafond de la dette car ils ont des mauvais souvenirs de 2011 où les négociations avaient été aussi rudes. Cet été 2011, le Congrès s’était rapproché au plus près et à un stade jamais vu auparavant d’un échec sur ce sujet et d’une mise en défaut qui aurait été catastrophique pour le pays. A cette époque, la configuration politique était similaire à celle d’aujourd’hui : un démocrate à la Maison Blanche, des démocrates avec une majorité étroite au Sénat, et une majorité républicaine à la Chambre des Représentants. Au cours de cette période, la volatilité du marché s’est envolée, le S&P500 avait baissé de plus de 15% en cinq semaines. Et l’agence de notation Standard&Poor’s avait dégradé la note crédit des Etats-Unis pour la première fois de l’histoire. Nous pourrions donc assister à un replay de ce scénario en 2023.

Les marchés envoient des signaux d’inquiétudes. Les bons du Trésor ayant une maturité à cet été ont vu leurs taux remonter. Et les traders d’options affichent une anticipation d’une augmentation de la volatilité sur les prochains mois.

Par ailleurs, en comparaison avec 2011, nous sommes à la fin d’un cycle de hausse des taux brutale dont les conséquences se font sentir sur le système financier avec une cascade de problèmes pour des acteurs locaux (banques régionales aux Etats-Unis, assureur vie italien Eurovita,…).

Alors que les indicateurs macroéconomiques (chômage au plus bas, résultats des entreprises au dessus des attentes,…) restent solides, nous pouvons nous attendre à une lutte dure qui pourrait durer jusqu’à la dernière minute et entraîner ainsi une forte volatilité sur les marchés. Car le défaut de la première puissance mondiale avec le dollar, comme première devise d’échanges mondiaux, entraînerait une véritable apocalypse sur les marchés. « Nous sauterions dans l’inconnu » a affirmé Jérome Powell.

Il a d’autant plus raison que contrairement à 2011, nous sommes dans une situation différente en termes de politique monétaire. Les taux longs à 10 ans étaient aux alentours de 1,7% en octobre. Aujourd’hui, nous sommes à l’inverse avec des taux élevés à 3,4% et surtout la latitude et la volonté des banques centrales pour baisser ses taux est quasi inexistante en raison d’une inflation forte et résiliente. Ainsi nous pourrions subir une volatilité également sur les taux d’intérêts ce qui pourrait engendrer une chute brutale des marchés à l’instar de ce qui s’est passé en 2022 et accentuer les difficultés pour plusieurs établissements financiers dont le bilan est fortement exposé aux obligations.

Graphique 2 : Volatilité et Taux 10 ans Américain – comparaison avec 2011

 

Rappelons que le Congrès a toujours réussi à augmenter la dette depuis 1960 à 80 reprises, quelque soient les partis au pouvoir. Nul doute que l’effet dévastateur d’un défaut de l’Etat américain pour l’économie incitera les deux parties à trouver un compromis. L’accord ne pourra être trouvé sans doute dans une atmosphère polarisée qu’après plusieurs semaines qui risquent de paraître longues pour les marchés. Prochain rendez-vous : mardi 9 mai avec la première réunion entre le président démocrate Joe Biden et le Président républicain de la Chambre Kevin McCarty sur le sujet. Rappelons que Kevin McCarty a été élu de justesse à la Chambre après un nombre record de tours. Il est donc fort probable que lui-même devra rester sur la ligne dure des Républicains pour maintenir sa crédibilité.

Les marchés pour l’instant n’ont pas intégré ce risque. Ainsi, on pourrait assister à un rock endiablé sur le sort de la dette. Vigilance donc car même si les derniers chiffres économiques nous rendent confiants sur le fait que la récession dure que beaucoup attendait n’est pas pour tout de suite…