SVB : la fin du free-lunch pour la FED

Achevé d'être rédigé le 17 mars 2023

Nous avons assisté à la seconde plus grosse faillite bancaire aux Etats-Unis après Washington Mutual en septembre 2008. Que s’est-il passé ? Quelles implications pour nos investissements ? Y a-t-il un risque de contagion ? Peut-on assister à ce type de déroute en Europe pour les banques ou les assureurs ? Quelle est notre position sur les marchés financiers? Nous vous invitons à prendre connaissance de notre analyse sur cet évènement important de marché et restons à votre disposition si vous avez des questions.

Gregory Becker, Directeur Général de la banque SVB disait le 1er mars lors d’une conférence à Los Angeles : « We pride ourselves on being the best financial partner in the most challenging times » (Nous sommes si fiers d’être le meilleur partenaire financier dans les périodes les plus compliquées.»). La Banque était élue le lendemain « Banque de l’Année » à un gala londonien… Une semaine après, la banque fait faillite. Comme quoi les récompenses ne gagent pas des résultats…actuels.

Que s’est-il passé ?

La Silicon Valley Bank (SVB), comme son nom l’indique, avait des clients majoritairement acteurs du capital risque dans le secteur technologique (fonds de capital risque et start-ups).

La mise sous administration judiciaire vendredi auprès de la Federal Deposit Insurance Corp. (FDIC) est intervenue après 44 heures de tentatives de retraits massifs de ses clients. Que s’est-il passé ?

Il faut remonter à la pandémie pour comprendre le chemin parcouru.

Les sociétés soutenues par des fonds de capital risque américain ont levé $330 milliards en 2021 – soit le double du record de l’année précédente. Ainsi SVB, spécialisée sur ce type de clients, a enregistré des dizaines de milliards de nouveaux dépôts de ses clients. Confiante que les taux d’intérêt resteraient stables, elle a investi ces liquidités dans des obligations de long terme.

Avec la remontée des taux, la valeur de ces obligations a chuté et alors que ses clients tentaient de retirer leurs fonds (incités par leurs fonds actionnaires alertés par un rapport de la FDIC et par l’échec de levée de la SVB pour renforcer ses fonds propres avant d’annoncer ses moins-values latentes publiquement sur les obligations), la SVB s’est retrouvée obligée de vendre ces obligations avec des fortes moins-values et n’a pas été en mesure de répondre à ces retraits massifs ($42 milliards en un jour, jeudi dernier, laissant la société avec un découvert de pratiquement $1 milliard).

Les dépôts totaux de la banque ont explosé lors des 12 derniers mois, passant à $124 milliards contre $62 milliards un an plus tôt selon Bloomberg. Cette hausse spectaculaire était bien plus élevée que les augmentations connues par JPMorgan Chase & Co (+24%) et la First Republic Bank (+36.5%), une autre institution Californienne.

La garantie de dépôt apportée par la FDIC s’élève à $250 000 (en France, la garantie de dépôt s’élève à €100 000). La SVB avait près de 90% des dépôts ($175 milliards) qui étaient supérieurs à ce montant au 31 décembre 2022. Ainsi, la mise sous administration judiciaire mettait en péril un grand nombre de ses clients (startup, fonds de capital risque,…) incapables de retrouver leurs dépôts et en conséquence de faire face à leurs obligations (paiement de salaires, fournisseurs,…).

La situation comptable de la banque apparaissait comme saine mais sous la surface, les obligations de long terme affichaient des fortes pertes. Ces pertes étaient largement déguisées par les règles comptables concernant les obligations détenues à maturité. Bien que les pertes en valeur de marché étaient de l’ordre de $15 milliards à fin 2022 soit pratiquement leurs fonds propres qui étaient valorisés $16.2 milliards, ces pertes n’apparaissaient pas car selon les règles comptables, les obligations détenues jusqu’à l’échéance (Held to maturity) ne voient pas la variation de leur valeur de marché reflétée dans le compte de résultat, les capitaux propres ou les fonds propres règlementaires.

Avec son conseil, la SVB a alors décidé de vendre le portefeuille d’obligations et en même temps a annoncé un deal sur l’injection de $2.25 milliards de capital pour renforcer ses fonds propres. Plusieurs fonds et hedge funds avaient montré de l’intérêt pour entrer dans le capital de la banque ; c’était jusqu’à ce qu’ils réalisent l’hémorragie des dépôts jeudi dernier, accélérée par la recommandation d’un certain nombre de fonds de capital risque à leurs sociétés tech de retirer leurs dépôts.

Les responsables de ce fiasco

Le management de la Banque

La croissance de la banque était inhabituelle et certainement pas très saine contrairement au discours offensif de son CEO.

Une des questions majeures est celle de la couverture des risques pour la banque. Il est habituel de voir les banques investir en obligations d’Etat. Ce qui est surprenant sur la SVB, c’est que celle-ci n’a pas couvert son risque de hausse des taux. Son risque de sensibilité de taux (duration de plus de 6 ans) était largement au-dessus d’un bilan bancaire régulé.

La SVB, de par l’homogénéité de ses clients, aurait dû prendre en compte dans sa gestion des risques la probabilité plus élevée d’un retrait massif simultané de ses clients par rapport à une banque généraliste. On a appris d’ailleurs que la Banque était sans Chief Risk Officer (Patron des Risques) pendant toute l’année 2022.

Trump

Afin de faciliter le financement et l’accès au crédit, Trump avait en effet exempté en 2018 les petites et moyennes banques (une trentaine à l’époque) des principales contraintes règlementaires découlant de la loi Dodd-Frank, votée en 2010 suite à la crise financière. Il est probable que sans cet assouplissement, la SVB aurait géré différemment son risque de duration entre ses actifs et son passif.

Les agences de notation

C’est assez tardivement (à la fin de la première semaine de mars) que l’agence de notation crédit Moody’s a pointé du doigt ces moins-values latentes et alerté sur un risque de dégradation de sa notation crédit sur la banque de potentiellement plusieurs crans.

La FED

Après avoir alimenté l’inflation en ne remontant pas suffisamment tôt ses taux, la Fed s’est engagée dans une course contre la montre en 2022 pour arrêter le train infernal de l’inflation. Elle a alors augmenté ses taux directeurs à une vitesse jamais vue créant l’un des krachs obligataires les plus importants de l’histoire et mettant en difficulté ainsi un grand nombre d’institutionnels très exposés en obligations d’Etat long terme.

Les fonds de capital risque

Même si la SVB présentait certainement des atouts pour les start-ups technologiques et les fonds de capital risque, on peut se dire que la règle d’or de la diversification des contreparties aurait dû être mise en œuvre.

De plus, en incitant leurs participations à sortir de la banque, elles ont précipité la banque à la déroute. Difficile de leur en vouloir au regard du risque de perte des dépôts pour ces entreprises.

Une réaction rapide des autorités de tutelle américaine

Le cours de l’action de la SVB a chuté de 60% jeudi dernier. C’est alors que le siège a été visité par les régulateurs américains. Vendredi avant midi, la banque a été fermée et mise sous administration judiciaire.

Une annonce conjointe de la FDIC, la Fed et le Trésor Américain a été faite dès dimanche annonçant que tous les dépôts y compris au-delà de la limite habituelle de $250 000 seraient couverts et que tous les clients de la banque accèderont totalement à leurs fonds à partir de lundi.

Aucune perte ne sera supportée par les citoyens américains ; les deux banques (en effet à SVB, une autre banque de plus petite taille a été mise également sous administration judiciaire ce dimanche : la Signature Bank) bénéficieraient de « ces conditions d’exception de risque systémique ». En effet, la non disponibilité des fonds aurait entraîné un effet domino avec un grand nombre d’entreprises ne pouvant payer leurs salariés typiquement, et des conséquences allant au-delà de l’économie américaine y compris sur l’écosystème des cryptos et du monde de la tech hors Etats-Unis (start-ups israéliennes, chinoises,…).

La Fed mettra également de nouveaux financements à la disposition des banques pour sauver les dépôts. Le financement sera disponible à travers la création d’un nouveau programme de financement bancaire (le Bank Term Funding Program (BTFP)) qui offrira des prêts jusqu’à un an. Jusqu’à $25 milliards du Fonds de Stabilisation des Changes sera utilisé comme soutien. La Fed a ajouté qu’elle était préparée à répondre aux pressions de liquidité qui pourraient survenir. Les régulateurs américains tentent désormais de trouver un acquéreur de la SVB. HSBC s’est portée candidate pour la filiale britannique de la banque.

La réaction de par sa rapidité montre que les autorités avaient anticipé certainement ces problèmes engendrés par la hausse des taux sur les établissements financiers.

La stabilité financière avant tout !

La faillite de la SVB et de la Signature Bank marquent un réel tournant pour la Fed et probablement la fin du « free lunch ». En effet, la Fed se retrouve désormais avec une priorité supérieure à celle de l’inflation qui est la stabilité financière. Les conséquences de la remontée rapide des taux (liée à son départ tardif) sont brutales et mettent en risque le système financier mondial.

La réaction rapide conjointe du Trésor, de la Fed et de la FDIC, montre ce qui se joue ici. Il est fort probable selon nous que la Fed marque une pause et qu’elle n’augmente pas ses taux le 22 mars prochain (alors qu’on attendait une augmentation de 0.50% après des chiffres d’inflation plus élevés que prévus).

Conséquences sur les marchés

Les marchés actions ont fortement corrigé à l’annonce de ces faillites. Les banques ont été les premières visées avec plus de $100 milliards de capitalisation qui se sont envolées en fin de semaine dernière pour les banques américaines. Les banques européennes sont elles aussi sanctionnées notamment Credit Suisse qui avait déjà faits les gros titres l’année dernière en raison de ses placements hasardeux. Mercredi 15 mars, l’action de la banque perdait 24%. Le Credit Suisse a en effet été durement sanctionné par les commentaires de son actionnaire principal (le président de la Saudi National Bank) qui a laissé entendre qu’il excluait toute injection de capital dans la banque helvétique.

Les marchés obligataires ont eux rebondi apparaissant à nouveau comme un actif refuge et bénéficiant d’une forte baisse des taux.

Y a-t-il un risque de contagion ?

Nous n’allons certainement pas minorer la faillite de la 16ème banque américaine. C’est un évènement grave. Mais nous pensons que la réaction des autorités américaines a été efficace pour éviter une crise systémique. De plus, la SVB de par la concentration de sa clientèle et le fait qu’elle détenait à son actif plus d’obligations long terme que de prêts à ses clients est inhabituel pour une banque traditionnelle.

Concernant les grandes banques et les banques européennes, elles sont soumises à une règlementation plus stricte. Il faut savoir que ce risque de taux d’intérêt est aussi vieux que le système bancaire. Trois risques sont gérés par les banques : le risque de crédit, le risque de liquidité et le risque de taux d’intérêt. Ainsi ce risque de taux d’intérêt est mesuré et contrôlé par les autorités de surveillance. Selon Axiom, un gérant spécialisé sur le secteur financier, les récents rapports de la BCE sur la stabilité financière montrent que la situation de risque des taux dans les bilans des banques est dans sa normalité. Ce même gérant a identifié qu’il existe un risque plus important au Japon et notamment les banques régionales ou spécialisées.

De plus, l’Europe a connu une moindre hausse des dépôts qu’aux Etats-Unis pendant la crise du Covid.

Les banques en Europe recourent beaucoup aux opérations de couverture, ce qui rend les pertes non réalisées sur les obligations moins importantes. Les grandes banques systémiques présentent des niveaux de solvabilité importants et des ratios de liquidité confortables. Ainsi, toute contagion aux grandes banques systémiques nous semble peu probable. Toutefois, certaines banques pourraient être contraintes d’augmenter le taux de rémunération des dépôts pour atténuer le risque de retraits, et le coût de financement pour ces banques pourrait être plus élevé mettant à mal leur rentabilité.

En ce qui concerne le Crédit Suisse, la situation de celle-ci n’est pas liée à celle de la SVB. Le risque sur Crédit Suisse est connu et les autorités suisses sont intervenues dès hier (l’Autorité de Surveillance des Marchés Financiers Suisse, la FINMA, et la Banque Nationale Suisse, BNS). Elles ont informé qu’il n’existe aucun risque de contagion directe entre les problèmes auxquels sont confrontés certains établissements bancaires aux Etats-Unis et le marché financier suisse. Elles ont également affirmé que le Crédit Suisse satisfaisait aux exigences en matière de capital et de liquidités imposées aux banques d’importance systémique et qu’en cas de besoin, la BNS mettrait des liquidités à la disposition du Crédit Suisse si nécessaire.

Quelle est notre analyse?

L’évènement est majeur mais nous pensons que cet évènement a été plutôt bien géré par les autorités américaines qui devaient être dans les starting blocks. En effet, les mesures ont été rapides avec la création d’un dispositif inédit pour assurer la garantie des dépôts et évitant probablement un risque de crise financière mondiale. Toutefois, un tel évènement montre que la confiance est fragile et qu’après de longues années de stimulus monétaire, tout incident peut entraîner très rapidement des chocs avec des conséquences importantes. Ainsi les marchés corrigent à l’heure où nous écrivons.

Nous sommes convaincus que la Fed privilégiera la stabilité financière et malgré la résistance de l’inflation, marquera une pause sur sa hausse des taux ce qui devrait alimenter un rebond des marchés. Elle a pu constater que sa politique agressive de hausse des taux n’a pas autant d’impact que ce qu’elle aurait souhaité sur l’inflation. Et pour cause ! Le taux de chômage est à un plus bas historique aux Etats-Unis depuis 50 ans et la croissance économique est au-delà de son taux de croissance naturel. L’inflation a clairement dépassé son pic mais restera sans nul doute plus élevée que lors des 20 dernières années pour des raisons structurelles (manque de main d’œuvre, transition énergétique,…).

La Banque Centrale Européenne continuera certainement son programme de hausse des taux car elle sera soumise à une moindre pression que la Fed.

Nous conservons à ce titre notre surpondération des actions internationales mais diminuons notre exposition aux actions européennes qui surperforment depuis le début de l’année car nous anticipons que la BCE rattrapera son retard sur sa hausse des taux par rapport à la Fed. Nous avons décidé également de prendre nos gains sur les actions Japonaises car le risque de taux pour les banques nippones régionales est plus élevé.

Nous avons fortement sous-pondéré le secteur financier qui représente 15% de la capitalisation mondiale. Nous privilégions toujours le secteur technologique car ce segment sur les marchés cotés a fortement corrigé en 2022 et nous pensons que la détente des taux devrait mécaniquement lui être favorable (lorsque les taux baissent les valorisations des cash flows futurs augmentent).