SPAC futile ou utile ?

Par Michael Sfez, rédigé le 29 avril 2021

Paru dans l'Agefi Actifs le 5 mai 2021

L’année 2020 aura été une année record avec plus de $80 milliards levés pour les SPACs, ces coquilles vides mises sur le marché actions lancées par des fonds professionnels ou des personnes emblématiques. Leur promesse consiste dans un temps imparti à acquérir des entreprises non cotées en forte croissance pour profiter de belles performances boursières. Et ce record de collecte a déjà été largement dépassé en quelques mois pour 2021.
Résultats historiques décevants sur le long terme, largement utilisés par des hedge funds cherchant l’appât du gain rapide, des règles favorisant les sponsors de ces SPACs au détriment des actionnaires de long terme, le SPAC dans sa version originelle présente un certain nombre de doutes et de suspicion.
2021 pourrait marquer le début d’une mutation de la gestion de ces véhicules pour en faire des acteurs viables de financement de l’économie.
Quels sont les enjeux ? Offrent-ils des sources viables de performances pour les investisseurs ? Sont-ils une menace pour les fonds de private equity ? Vont -ils s’inscrire durablement dans notre écosystème ou feront-ils un passage éphémère ?

Rapide rappel sur les SPACs

Pour rappel, les SPACs (Special Purpose Acquisition Véhicle) sont des véhicules cotés sur des marchés boursiers comme le NYSE et le NASDAQ qui disposent en général de 24 mois pour acquérir une entreprise cible. Si le délai est dépassé, le SPAC est dissolu et le capital est rendu aux actionnaires du SPACs.

La promesse du SPAC pour l’investisseur consiste à identifier une société en forte croissance non cotée pour la rendre publique (cotée sur le marché actions) et ainsi permettre à ses actionnaires de tirer parti des performances élevées de ces nouvelles sociétés qui se font rare sur les marchés actions.

Une solution au vieillissement des marchés actions ?

Depuis 1996, le nombre de sociétés cotées a été réduit de moitié en raison des exigences règlementaires et de coûts qui ont démotivé un grand nombre d’entreprises à se financer via la bourse. Ainsi beaucoup de sociétés ont longtemps attendu pour entrer en bourse et l’ont fait uniquement après être devenus des entreprises reconnues avec des méga chiffres d’affaires (ex : Airbnb). Ainsi le marché actions ne donneraient accès qu’à des sociétés ayant une certaine maturité et les investisseurs particuliers n’auraient plus la capacité via la bourse de bénéficier des performances élevées des premières années de ces entreprises innovantes.

Les SPACs présentent le bénéfice pour les entreprises d’une entrée en bourse plus douce, moins exigeante en termes de temps, de transparence et de ressources car cette introduction se fait par le biais d’une fusion acquisition entre le SPAC et l’entreprise. Or une fusion acquisition bénéficie de procédures beaucoup plus allégées que l’introduction en bourse. Une introduction classique est très chronophage à mettre en place (entre 2 à 3 ans avant sa finalisation contre 2 à 3 mois pour un SPAC).

Investir dans un SPAC, c’est comme si en course hippique, vous pariez sur le jockey avant de connaître sa monture

Plus la réputation des fondateurs sera grande, plus le SPACs aura des chances de succès de collecte puisqu’à l’introduction du SPAC, la ou les sociétés cibles ne sont pas connues. D’où leur appellation de « chèques en blanc ». Ainsi c’est comme si sur une course hippique, on pariait sur le jockey sans connaître sa monture…

Véritable SPACmania

Alors que jusqu’en 2017, peu de bourses s’intéressaient aux SPACs, aujourd’hui on fait face à un engouement qui pose des questions. En 2020, les SPACs ont collecté plus de $80 milliards soit plus que ce qu’ils avaient collecté en 10 ans. Le NASDAQ, berceau des entreprises d’innovations, est le principal marché des SPACs. L’année dernière, aux Etats-Unis 248 SPACs supplémentaires ont été introduits en bourse contre 209 introductions classiques de sociétés. Il s’agit de la première fois que le nombre de création de SPACs dépasse le nombre d’introductions en bourse.

Pour l’instant, des performances peu convaincantes
Les performances du top 10 des SPACs en 2020 donnent le vertige : +1115% pour QuantumScape, leader du développement des batteries lithium de nouvelle génération, +444% pour DrafKings, +304% pour Iridium, entreprise de communications par satellite… Mais ces performances lunaires ne sont pas vraiment en ligne avec la réalité. Plusieurs études montrent que sur le long terme, le contrat n’est pas rempli. Les conclusions communes de ces analyses font ressortir une sous-performance à la fois pendant la période de recherche de la/des cibles du SPAC, l’annonce de la fusion avec l’entreprise identifiée (appelée de-SPAC) et la période post fusion. Le seul moment où le SPAC réaliserait une forte surperformance par rapport au marché serait autour de l’annonce de l’acquisition. Une étude de Stanford a montré que des hedge funds auraient même élaboré des stratégies en se retirant juste avant l’annonce tout en conservant les warrants. 40% des SPACs de 2020 ont perdu en moyenne -32% selon le cabinet Bain & Company…

Un concurrent au private equity ?

L’afflux massif de liquidités abondés par les politiques monétaires accommodantes et les effets de levier facilités par les taux bas ont entraîné des capitaux collectés records dans le capital investissement. Cette collecte massive des fonds entraîne une plus grande concurrence notamment sur certains secteurs apparaissant comme les plus prometteurs dans le contexte post Covid. Ainsi les acquisitions se font de plus en plus à des prix élevés. Et maintenant les SPACs qui s’ajoutent à cela ! Représentent-ils une véritable menace pour les fonds de private equity ?

Les SPACs interviennent sur le terrain de jeu des fonds de private equity de buy out (capital transmission). Aujourd’hui ils ont une force de frappe assez limitée puisqu’ils représentent $142 milliards de poudre sèche (capitaux à déployer) contre $970 milliards pour les fonds de buyout traditionnels.

Comme pour le private equity, le succès du SPAC repose sur l’expérience, le track record, le réseau et la réputation de son sponsor. La qualité de son équipe est clé. Celle-ci devra présenter un réseau de qualité et une réelle expérience réussie dans les techniques de création de valeur dans le secteur concerné par l’entreprise cible.

Mais contrairement au fonds de private equity qui a du temps (entre 5 et 7 ans) pour se constituer un portefeuille d’une quinzaine d’entreprises, le SPAC a très peu de temps. C’est le « Deal or Die » qui prime. Et les sponsors subissent cette pression du temps pour faire l’acquisition d’une entreprise. Ainsi leurs intérêts peuvent ne pas être alignés avec les actionnaires du SPACs puisqu’ils pourraient décider par manque de temps de faire des acquisitions à prix élevé. Une autre incitation à acheter cher est lié au fait que les transactions doivent représenter à minima 80% de l’actif du SPAC.

Les SPACS deviennent aussi des nouvelles options de sortie pour les fonds de private equity (ex : Paysafe sorti via un SPAC des fonds Blackstone et CVC pour $9 milliards ).

Une règlementation accrue et une professionnalisation nécessaire des SPAC pour un meilleur alignement d’intérêt avec les actionnaires

Certains signaux laissent penser que les SPACs vont certainement évoluer et qu’ils entament leur processus d’institutionnalisation afin qu’il y ait un meilleur alignement d’intérêt avec les actionnaires de long terme. Typiquement, on voit certains sponsors abandonner leurs 20% de titres. Certains SPACs obligent également les actionnaires sortants de renoncer à leurs warrants pour décourager les stratégies de gains à court terme.

Les SPACs deviennent aussi meilleurs dans leur capacité à identifier les cibles (le taux de succès entre 2006 et 2010 était de 50% seulement alors qu’aujourd’hui ce taux est au-delà des 90%. Mais la concurrence se fait de plus en plus rude et exige donc de développer des ressources importantes pour identifier dans le secteur de prédilection du SPAC les entreprises à fort potentiel de performance sur le long terme.

Ainsi il est fort à parier qu’on verra de plus en plus des gérants professionnels rentrer dans la danse.

Nul doute que les régulateurs viseront à améliorer les protections pour les épargnants individuels afin de s’assurer que ces véhicules se concentrent sur une performance de long terme au détriment d’un appât de gains rapide et facile pour des fonds spéculateurs.

Rappelons nous que le premiers fonds de capital investissement en France n’a pas été couronné de succès. Aujourd’hui le private equity est devenu un pilier essentiel du financement de l’économie.

Le SPAC devrait se faire une place également, et aura un rôle à jouer pour l’oxygénation des places boursières et de manière beaucoup plus saine que sur ces dernières années. Sur ce sujet, l’Europe est une nouvelle fois à la traîne avec une limite aux investisseurs professionnels. Il est essentiel que les bourses Européennes s’ouvrent à ce système afin d’éviter que les pépites européennes innovantes ne passent sous le giron américain.

Sources : Bain & Company « Global Private Equity Report 2021”
SPACs (S&P Dow Jones Indices Blog) – Jason Ye March 2021